Design de service
Dans nos vies quotidiennes, nous évoluons sans y prêter attention dans des hôpitaux, des crèches, des centres culturels, des mairies ou des musées. Pourtant, si l’on prend un instant pour observer les visiteurs de ces lieux publics, on remarque très vite que l’orientation est loin d’être anodine.
Se repérer dans un bâtiment n’est pas toujours simple... surtout quand l’espace est vaste, complexe, ou qu’il n’y a pas d’accueil immédiat. Et c’est ici qu’intervient la signalétique. Invisible quand elle est bien conçue, précieuse quand elle est bien pensée, elle façonne discrètement l’expérience de chaque visite.
Chez Impact Positif, nous avons travaillé sur de nombreux projets liés à l’orientation, dont celui de l’Espace Belin, un bâtiment multiservices accueillant un public très large. Cet article, fruit d’une discussion entre moi et Guillaume, explore ce que nous avons appris et les principes essentiels pour concevoir une signalétique accessible, lisible et durable. Une signalétique qui ne s’impose pas, mais qui accompagne.
La signalétique est souvent perçue comme un simple ajout graphique : un panneau ici, une flèche là. Mais dans la réalité, tout commence bien en amont. Avant même de parler design, il faut comprendre les parcours, identifier les points de friction, les zones de décision, les carrefours de confusion. C’est cette lecture du lieu qui nous permet ensuite de définir les bons points d’intervention.
Nous pensons la signalétique comme un prolongement du lieu. Elle doit être lisible, utile, mais aussi cohérente avec l’ambiance et l’architecture. Elle peut parfois jouer un rôle graphique fort, créant une identité propre au lieu. Mais attention à la surcharge : trop de codes couleurs, trop d’éléments mal hiérarchisés peuvent vite perdre le visiteur. Une bonne signalétique sait rester à sa place, sans jamais encombrer.
Lorsqu’un lieu dispose d’un accueil physique, la signalétique joue un rôle complémentaire. Elle soulage les équipes, fluidifie les files d’attente, rend les indications plus autonomes. Dans un projet que nous menions dans un nouveau lieu, par exemple, un simple panneau indiquant la “salle bleue” a suffi pour orienter efficacement sans accompagnement.
Mais que se passe-t-il lorsqu’il n’y a pas d’accueil en bas du bâtiment ? C’était tout l’enjeu du projet Belin. Répartis sur plusieurs niveaux, les services de ce centre médico-social (PMI, crèche, relais petite enfance, accompagnement juridique…) sont difficiles à localiser sans repères clairs. Nous avons donc conçu une signalétique fondée sur un système de codes couleurs et d’icônes, pour guider sans créer de dépendance à une personne présente. L’objectif : permettre à chaque visiteur, quels que soient ses repères linguistiques ou ses capacités, de s’orienter seul.
Penser la signalétique, c’est aussi penser à tous les publics. Aux personnes âgées, à celles qui ne lisent pas bien le français, à celles qui ont des difficultés de compréhension, aux enfants, aux personnes non-voyantes ou à mobilité réduite...
Cela passe par des choix précis : typographies simples, tailles de caractères adaptées, contrastes élevés, icônes évocatrices. Nous avons aussi recours au FALC ( Facile à Lire et à Comprendre ) une méthode qui simplifie les textes avec des phrases courtes, un langage clair et une seule idée par phrase. Et bien sûr, nous testons toujours nos dispositifs avec les usagers avant leur mise en œuvre.
Dans les projets multiservices, comme celui de Belin, chaque service a ses spécificités. Pour cela, nous avons mis en place une identité visuelle propre à chacun : une couleur, une icône, un style. Ce travail n’a pas été fait “pour” eux, mais “avec” eux : ateliers, visites inspirantes, tests. Nous avons ajusté les propositions au fil des échanges, et parfois découvert des besoins inattendus, comme l’incompréhension du mot “violet” chez certains publics allophones, qui a mené à des choix de couleurs plus facile à comprendre.
Mais une bonne signalétique ne s’arrête pas à sa pose. Elle doit vivre, évoluer avec les services. Pour cela, nous avons conçu des supports simples à mettre à jour : des pochettes plastiques, des fiches Word modifiables, des gabarits imprimables. L’idée ? Donner aux équipes la capacité de faire évoluer les informations sans dépendre d’un graphiste ou d’un technicien.
Le numérique, c’est tentant. Une borne tactile, un écran dynamique : tout semble plus flexible, plus moderne. Mais dans la pratique, c’est souvent plus compliqué. Qui met à jour les contenus ? Qui assure la maintenance ? Est-ce accessible à tous les publics ? Et à quel coût environnemental ?
Nous avons choisi de rester pragmatiques. Sur le projet Belin, une borne numérique n’aurait pas été adaptée. Mieux valait une solution simple, visible, et facile à prendre en main par les équipes. Car une signalétique trop technique finit souvent par tomber en désuétude.
Nous croyons à la co-construction. Lorsqu’un service participe à la création de sa signalétique, il en comprend les codes, en perçoit l’intérêt, et veille à sa mise à jour. C’est ce que nous avons expérimenté également au Château de Mutzig, un lieu culturel vivant où chaque pôle (cinéma, théâtre, école de musique) peut communiquer via une zone dédiée.
L’appropriation est un gage de durabilité. Une signalétique figée, imposée, risque de mal vieillir. Une signalétique partagée, intégrée dans la vie du lieu, s’adapte, évolue, et reste utile.
Finalement, la signalétique ne se résume pas à un ensemble de panneaux. Elle fait partie intégrante de l’expérience globale de visite. Elle commence dès la façade, se poursuit dans les couloirs, et accompagne jusque dans les interactions humaines. Elle agit dans l’ombre, en silence, mais elle change tout.
Et quand elle est bien pensée, elle disparaît presque. Le visiteur avance naturellement, sereinement, sans se poser de questions. Il est guidé, sans jamais avoir eu à demander.
C’est ça, l’art de se repérer sans y penser.
Le 13 août 2025 par Morgane Maiset